Trois merveilleux poèmes du britannique William Shakespeare
Mon œil s'est fait peintre, sonnet 24
Mon œil s’est fait peintre et a fait resplendir la forme de ta beauté sur le tableau de mon cœur ; ma personne est le cadre qui l’enferme ; et c’est un chef-d’œuvre de perspective :
Car, habileté suprême, c’est dans le peintre même qu’il faut regarder pour trouver ton vivant portrait, pendu dans l’échoppe de mon cœur, dont les fenêtres ont tes yeux pour vitres.
Vois donc comme tes yeux et les miens s’aident réciproquement ! Mes yeux ont dessiné tes traits, et tes yeux sont les fenêtres de mon cœur, à travers lesquelles le soleil aime à se glisser pour t’y contempler.
Pourtant il manque à mes yeux une science pour embellir leur art. Ils ne dessinent que ce qui se voit ; ils ne connaissent pas mon cœur.
Quel hiver a été pour moi ton absence, sonnet 97
Quel hiver a été pour moi ton absence, ô toi, joie de l’année fugitive ! quels froids glacés j’ai sentis ! quels sombres jours j’ai vus ! partout quel désert gris de décembre !
Et pourtant le temps de notre séparation était le plein été ; c’était l’époque où l’automne féconde, chargée de riches moissons, portait dans son sein le gage d’amour du printemps, comme une veuve restée grosse après son mari mort.
Mais moi je ne voyais dans cet abondant enfantement qu’une génération orpheline et des fruits sans parents ; car c’est près de toi qu’est l’été avec ses plaisirs, et, toi absent, les oiseaux même sont muets,
Ou, s’ils chantent, c’est d’un ton si triste que les feuilles pâlissent, craignant que l’hiver ne soit proche.
L'amour est mon péché, sonnet 142
L’amour est mon péché, et ta vertu profonde est la haine, haine de mon péché fondé sur un amour pécheur. Oh ! compare seulement ma situation à la tienne, et tu verras qu’elle ne mérite pas cette réprobation ;
Ou, si elle la mérite, ce n’est pas de tes lèvres qui ont profané leurs ornements écarlates, et scellé de faux engagements d’amour aussi souvent que les miennes, volant aux lits des autres leur légitime revenu.
Sache-le, mon amour pour toi est aussi justifiable que ton amour pour ceux que tes yeux courtisent, comme les miens t’importunent. Enracine la pitié dans ton cœur afin que, lorsqu’elle y croîtra, ta pitié puisse te valoir la pitié des autres.
Autrement, quand tu chercheras ce bonheur que tu me dérobes, puisses-tu, d’après ton exemple, n’essuyer que refus !










